dimanche 27 janvier 2008

Cognition et émotion

"Les émotions ne sont pas dépourvues de rationalité : elles se manifestent dans des situations bien précises, elles possèdent une organisation invariante chez tous les sujets et sont reconnaissables d’une culture à l’autre. En ce sens, elles ne sont pas moins logiques que la plupart des actes cognitifs, d’autant plus qu’à l’opposé, les mécanismes cognitifs sont moins rationnels qu’on ne le croit. L’esprit humain n’utilise pas la logique formelle pour raisonner, les choix et les prises de décision sont souvent irrationnels. Émotions et raison sont donc intimement liées. On peut en juger chez des patients porteurs de lésions atteignant les lobes frontaux du cerveau. Ces patients éprouvent de grandes difficultés lorsqu'ils doivent prendre des décisions rationnelles. Placés dans une situation de jeu où ils risquent soit de gagner soit de perdre, ils se comportent de façon neutre, ne semblant éprouver ni joie ni déception. Cette absence de coloration affective de leurs décisions fait qu’ils ne peuvent en évaluer les conséquences (positives et négatives) et qu’ils les prennent souvent à l’encontre de leurs propres intérêts. Dans une autre pathologie, la dépression grave, on observe fréquemment, en plus des troubles affectifs, des troubles cognitifs : la mémoire de travail, la prise de décision, la capacité de résoudre un problème, l’incitation à agir sont altérées. Nos capacités intellectuelles sont donc en permanence influencées par notre état affectif. L’erreur de Descartes, qui a consisté, selon Antonio Damasio, à identifier l’esprit à sa seule dimension consciente, est depuis longtemps corrigée : il est inexact de dire que l’approche cognitive isole l’esprit du reste du corps et que la cognition est " sans vie ". L’esprit construit des représentations à partir des informations qui sont stockées dans notre mémoire et de celles qui lui parviennent de l’environnement et de l’intérieur du corps. Ces représentations guident nos actions en direction du monde et des autres, elles nous permettent d’anticiper, de choisir et de communiquer.»

par Marc Jeannerod,

directeur de l’Institut des sciences cognitives de Lyon

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